L’externalisation de la R&D : une approche exploratoire


Régis Dumoulin, Aude Martin
Dans Revue française de gestion 2003/2 (no 143), pages 55 à 66

Par sa recherche et développement (R&D), l’entreses produits pour conserver ou acquérir une position prise tente de solutionner rapidement les problèmes rencontrés, de développer et d’améliorer concurrentielle importante. Obtenir des compétences et des ressources et développer les routines organisationnelles permet à l’entreprise de préparer son avenir. Les entreprises ont de plus en plus recours à l’externalisation pour palier un savoir-faire indisponible en interne ou difficile à préserver. De manière générale, l’externalisation ne cesse de croître : plus de 63 % [1]. des entreprises prétendent y avoir recours. Elles espèrent diminuer leurs coûts et augmenter leur compétence et leur flexibilité en adoptant une stratégie de recentrage sur leurs compétences clés et d’externalisation pour les activités plus périphériques.

Notre étude, exploratoire, analyse l’externalisation de la R&D dans son ensemble et cherche à déterminer les activités de R&D pouvant être confiées à un prestataire. La première partie de cet article fixe le cadre théorique nécessaire à la compréhension du phénomène d’externalisation en comparant les apports de la théorie des coûts de transaction à ceux de l’approche ressource et en développant le point de vue original de Kay. La deuxième partie décrit les pratiques observées sur le terrain et explique le recours à l’externalisation dans notre échantillon. Enfin, la troisième partie propose un modèle utile à l’analyse du bon déroulement d’un projet d’externalisation de la R&D.

I. – COMPRÉHENSION THÉORIQUE DE L’EXTERNALISATION DE LAR&D

1. L’externalisation dans la TCT et la RBV

Bien qu’il n’existe pas de véritable théorie de l’externalisation (Barthélemy, 2001), la théorie des coûts de transaction (TCT) et l’approche ressource (RBV) sont néanmoins utilisées pour comprendre ce phénomène. La TCT s’est surtout intéressée à l’intégration verticale, et elle délaisse deux thèmes importants que sont le cœur de métier et les facteurs déclencheurs de l’externalisation. La RBV permet de combler ces lacunes (Barthélemy, 2001).

Pour la TCT, économiser est le problème majeur des organisations. Les coûts de transaction se fondent sur deux hypothèses de comportement : la rationalité limitée et l’opportunisme. Le niveau des coûts de transactions est déterminé par trois attributs : la spécificité des actifs, la fréquence et l’incertitude. Williamson accorde à la spécificité des actifs une place prépondérante. Un actif est jugé d’autant plus spécifique que sa valeur d’usage est dépendante d’une transaction particulière. La TCT pose par le problème des frontières de l’entreprise, celui de l’externalisation ou l’internalisation des activités : plus la spécificité des actifs est élevée, moins l’externalisation est souhaitable; plus la performance d’un prestataire est difficile à mesurer, plus il est recommandé d’internaliser la transaction; plus il y a d’incertitude, plus l’intégration verticale est recommandée. Mais paradoxalement, l’incertitude technologique augmentant la probabilité que les capacités internes et les routines deviennent obsolètes, elle devrait décourager l’intégration verticale (Balakrishnan et Wernerfelt, 1986).

La RBV rejette la théorie néoclassique selon laquelle la firme correspond à une combinaison technique pour la considérer comme un ensemble de ressources physiques et humaines (Coriat et Weinstein, 1995). L’entreprise n’est pas là pour diminuer les coûts mais pour produire une connaissance spécifique. La RBV prend en compte la qualité des ressources et des compétences internes par rapport à celles dont disposent les meilleurs prestataires du marché. L’externalisation est alors une décision stratégique qui comble un vide entre les compétences souhaitées et réelles (Barthélemy, 2001). Cependant, elle ne permet qu’un accès à des ressources et à des compétences qui restent extérieures à l’entreprise. Elle implique en effet un transfert de ressources et de compétences et donc une perte de l’expertise et du savoir accumulés (Prahalad et Hamel, 1990).

Le principal problème des entreprises qui veulent se séparer de certaines activités et concentrer leurs ressources sur d’autres est de définir leur cœur de métier (Prahalad et Hamel, 1990). En effet, l’entreprise se recentre sur son cœur de compétences et elle a recours à des prestataires pour tout ce qui est périphérique. Pour Quinn et Hilmer (1994), les compétences clés sont les activités qui offrent un avantage compétitif à long terme, elles doivent être protégées et contrôlées.

Barney (1991) définit ainsi quatre critères pouvant déterminer si une ressource fait partie du « cœur de métier », si elle constitue un avantage concurrentiel pour la firme. Ces critères connus sous le nom de conditions VRIN sont la valeur, la rareté, l’inimitabilité et la non-substituabilité de la ressource.

2. L’externalisation de la R&D : les développements présentés par Kay

Kay (1997) tente de comprendre pourquoi les entreprises confient leurs campagnes de publicité qui sont vraiment spécifiques à une entreprise extérieure alors qu’elles préfèrent réaliser elles-mêmes leur R&D, qui elle est non-spécifique. S’opposant à Williamson, il remet en cause le rôle de la spécificité de l’actif dans la décision d’intégrer ou d’externaliser, pour privilégier le concept de substituabilité de l’actif. Dans la TCT, la spécificité fait référence aux coûts d’opportunité des actifs à l’extérieur de l’entreprise, cependant, cela n’éclaire en rien les relations des actifs entre eux à l’intérieur de l’entreprise, ni la facilité avec laquelle ils pourraient être remplacés si cela se révélait nécessaire. La perspective de Kay, à forte orientation ressource, met l’accent sur la facilité de remplacement plutôt que sur le degré de spécificité de l’actif. La substituabilité est la possibilité de remplacer une ressource interne par une ressource issue du marché. Si un actif est difficilement substituable, il peut être considéré comme un actif critique. Pour Kay, bien que l’activité de R&D soit non-spécifique, elle est hautement intégrée aux autres activités et routines de l’entreprise, et par-là difficilement externalisable. En effet, pour Kay, la zone où la R&D est plus susceptible d’être internalisée est la zone où les recherches sont particulièrement liées aux autres activités de l’entreprise et qui ne sont pas facilement substituables par des sources extérieures.

Kay (1988) définit quatre caractéristiques de l’activité de la R&D : la non-spéci-ficité, l’incertitude (marché, technique et générale), les délais et retards, les coûts élevés. L’impact de ces quatre facteurs varie au fur et à mesure qu’un projet de R&D passe du stade de recherche fondamentale à celui de recherche appliquée puis à celui de développement [2]. En effet, la non-spécificité, l’incertitude et les retards ont tendance à diminuer au fil de ces étapes à la différence du facteur coût qui lui tend à augmenter vers la phase finale.

II. – L’EXTERNALISATION DE LA R&D DANS L’ÉCHANTILLON ÉTUDIÉ

1. Processus de recherche exploratoire

Cherchant à obtenir une vue globale de l’externalisation de la R&D dans les entreprises, nous avons opté pour une démarche qualitative de collecte de données. Le protocole de recherche suivi est présenté dans le tableau 1. L’échantillon sélectionné est composé d’entreprises confiant des projets de R&D à l’extérieur, de prestataires de services ainsi que de centres de recherche public et privé (voir tableau 2).

2. Détermination des activités de R&D externalisables

La R&D doit être considérée non pas comme une seule activité mais comme un ensemble de projets. Nous avons donc cherché à déterminer comment se déroulait l’externalisation des différents projets de R&D dans la pratique.

Tableau 1

SYNTHÈSE DE LA DÉMARCHE D’ÉTUDE DE CAS

Tableau 1
Tableau 2

LES ORGANISATIONS CONSTITUTIVES DE L’ÉCHANTILLON

Tableau 2

Certains types de recherche sont plus souvent externalisés que d’autres. Les industriels ont délaissé l’activité de recherche fondamentale par manque à la fois d’intérêt et de ressources matérielles et humaines. Ils font le plus souvent appel aux laboratoires publics – CR10 et CR11 – pour des contrats de long terme ou ponctuels. « Les études amont ont pour but essentiellement de permettre aux entreprises et plus particulièrement aux directions techniques de préparer les compétences dont elles auront besoin demain » (E2). Aucune des neuf entreprises interviewées ne réalisait des activités de recherche fondamentale. E6 a recours de manière indirecte à la recherche effectuée par les laboratoires publics puisque le centre de recherche de sa maison-mère – CR12 – dont elle dépend directement leur confie de nombreux projets.

La recherche appliquée est le plus souvent réalisée à l’interne. « Même si elle est d’une durée plus courte, elle est souvent moins risquée que la recherche fondamentale » (E3). La recherche appliquée nécessite beaucoup d’investissements humains, matériels et budgétaires. Les entreprises n’ont pas toujours les compétences à l’interne pour la mener totalement à bien et peuvent être obligées de faire appel à des partenaires extérieurs pour certaines missions. E2, E7, E8, E9 et CR12 ont régulièrement recours à des prestataires extérieurs pour certains de leurs projets. E9 mène des recherches en parallèle avec un prestataire. E5 et E6 consacrent une faible partie de leur budget R&D à la recherche appliquée.

Les entreprises confient souvent le développement de nouveaux procédés à des spécialistes dans le domaine, E8 est souvent chargée de ces missions. En revanche, l’entreprise ne peut que difficilement externaliser l’amélioration et le développement des produits puisque cette activité est spécifique à l’entreprise. Nos sept entreprises externalisatrices réalisent intégralement leur développement de produits grâce à leur(s) direction(s) technique(s).

Figure 1
Figure 1

Les experts affectés à la veille technologique apportent à leur entreprise la connaissance des travaux menés par la recherche académique ou industrielle. Dans notre étude, aucune des quatre entreprises menant une veille technologique n’a confié cette mission à des extérieurs.

Au vu de nos résultats, nous pouvons, au sens de Prahalad et Hamel (1990), définir un cœur de métier de R&D et un ensemble d’activités de recherche considéré comme périphérique. Le schéma de la figure 1 résume les activités de R&D considérées comme le cœur de la R&D qui doivent rester à l’interne et celles plus périphériques qui peuvent être confiées à l’extérieur.

Tableau 3

MOTIFS DE L’EXTERNALISATION DE LAR&D

Tableau 3
serait amenée à faire un choix entre les différentes raisons poussant les entreprises à faire appel à des prestataires extérieurs pour certains de leurs projets de R&D peuvent être classées en trois catégories : la réorganisation interne de la R&D, l’accès au savoir-faire d’un spécialiste et l’adaptation à l’environnement. L’ensemble de ces raisons issues du terrain est répertorié dans le tableau 3.

III. – VERS UN MODÈLE D’ANALYSE DE L’EXTERNALISATION DE LAR&D

1. Pertinence du cadre théorique mobilisé

L’approche ressource nous apparaît plus adaptée pour justifier l’externalisation de la R&D. En effet, la raison principalement évoquée quant au choix de confier des activités de R&D à l’extérieur est la recherche de compétences spécifiques non disponibles en interne. Il s’agit d’une décision stratégique prenant en compte la qualité des ressources et des compétences internes par rapport à celles existantes chez certains prestataires externes.

De plus, le concept de core competencies s’applique à l’activité de R&D. Même si l’activité de R&D prise dans son ensemble peut être considérée comme une activité « cœur » de l’entreprise, elle peut être décomposée en projets-clés et en projets périphériques. Les projets-clés sont les core competencies de l’activité et sont conservés à l’interne à la différence des projets périphériques qui peuvent être externalisés. Si l’on reprend les conditions VRIN, celle de non-substituabilité et celle d’inimitabilité de la ressource sont appropriées. Pour Kay (1997), également, un actif constitue un avantage concurrentiel pour la firme lorsque celui-ci est difficile à remplacer, dans ce cas il ne peut être externalisé. Certains projets de R&D sont particulièrement liés à d’autres projets, activités ou produits, ils requièrent des informations très détaillées et font partie de l’identité de l’entreprise, de ses routines. Ces projets ne pourraient être réalisés à l’extérieur, trop d’éléments manqueraient à leur bonne réalisation. Tel est le cas des projets qui concernent le développement et l’amélioration des produits. Le critère d’inimitabilité souligne que, pour être considérée comme un avantage concurrentiel, une ressource ne doit pas être détenue par un grand nombre de firmes. Les projets menés à l’interne sont difficiles à imiter puisqu’ils sont directement liés à d’autres activités (non-substi-tuabilité de la ressource), à la différence de ceux confiés à des prestataires qui peuvent être facilement reproduits par d’autres entreprises.

Deux attributs de transaction présentés par la théorie des coûts de transaction sont cohérents avec les résultats de notre étude. Il s’agit de l’incertitude qui, si elle est technologique, doit favoriser l’externalisation : dans le cas de l’activité de R&D, nous avons vu que les résultats étaient incertains. Tout comme l’évolution de la technologie, l’incertitude technologique est donc fortement présente dans l’ensemble des contrats; E1, E3 et E7, ont évoqué l’importance de partager les risques liés à l’incertitude technologique et à l’incertitude de l’environnement. Kay (1988) ajoute que cette incertitude diminue au fur et à mesure des étapes de recherche : plus on se rapproche de la phase finale (développement et mise en œuvre industrielle), plus l’incertitude diminue. Ceci est vérifié lors de notre étude. Le deuxième attribut est la fréquence. En effet, les projets de R&D sont plus facilement externalisés lorsqu’ils sont occasionnels (E1, E7, E8, E9, CR10 et CR11) même si dans certains cas, il s’agit plus d’un caractère structurel : pour la recherche fondamentale, les entreprises ont tendance à établir des contrats de long terme et/ou répétés (E1, E2, CR10 et CR11).

La principale différence entre les résultats obtenus et la théorie des coûts de transaction réside dans la place accordée à l’économie de coûts. Pour Williamson (1999), il faut intégrer lorsque réaliser une activité à l’interne permettrait une économie de coûts par rapport au fait de solliciter le marché. Limiter les coûts fait partie des avantages recherchés par les entreprises de notre terrain, mais il ne s’agit pas d’un facteur-clé dans la décision d’externaliser ou non un projet de R&D, à la différence des compétences recherchées, de la flexibilité et du partage des risques.

La théorie des coûts de transaction souligne également que s’il est difficile d’apprécier la performance d’un prestataire, il vaut mieux intégrer. Pour déterminer la valeur d’un nouveau prestataire, l’entreprise cliente se base principalement sur la réputation et l’image de marque du prestataire (E1, E2, E3, E4, E7, E8 et E9), sur le nombre de brevets déposés (E2, E7 et CR12) et sur les articles dans la presse spécialisée (E9). En R&D, il est d’autant plus difficile d’apprécier la valeur réelle du prestataire : les projets étant très spécifiques, ils nécessitent du matériel et des compétences humaines appropriées qu’il n’est pas toujours facile de mesurer lors des premiers échanges avant la signature du contrat. La performance du prestataire peut varier d’un projet à un autre.

Prahalad et Hamel (1990) soulignent que l’externalisation d’une activité entraîne une perte d’expertise et de savoir-faire puisqu’elle implique un transfert de ressources et de compétences. Les ressources et les compétences auxquelles l’entreprise accède par l’externalisation restent externes. Les différents entretiens ont montré que l’externalisation des projets de R&D n’entraîne pas de perte de compétence puisqu’il n’y a ni transfert de personnel, ni transfert de matériel. De plus, les résultats obtenus lors de l’externalisation d’un projet de R&D sont réintégrés par la firme qui se les approprie grâce aux directions techniques (E2, E4 et E6).

Parmi les autres conditions VRIN, la notion de valeur peut difficilement être prise en compte puisque les projets menés en interne peuvent avoir autant, voire plus, de valeur que les projets menés à l’interne. De même, un projet externe peut être considéré comme « rare » lorsque le prestataire, dans nombre de cas, est le seul à être qualifié pour réaliser cette recherche.

Le dernier point d’importance à souligner concerne la spécificité des actifs, attribut auquel Williamson accorde une place prépondérante. Kay remet en cause la place de la spécificité des actifs dans la décision d’externaliser ou non une activité. Il juge la fonction R&D non-spécifique. Nous pensons que l’activité de R&D, si elle est prise globalement, est plutôt spécifique à l’entreprise [3]. En revanche dès lors que l’on s’intéresse aux différents types de recherche, certains sont très spécifiques à l’entreprise et d’autres sont non-spécifiques. La recherche fondamentale est non-spécifique puisque, dans beaucoup de cas, les résultats obtenus seront utilisables dans différents secteurs économiques pour des produits complètement différents (E7, CR10 et CR11). Le développement est spécifique à la fois au produit et à la firme. Il est plus difficile de se prononcer pour la recherche appliquée, en effet, dans certaines entreprises, elle pourra être considérée comme spécifique et pour d’autres comme non-spécifique. Il faudrait à nouveau diviser la recherche appliquée en projets, certains étant spécifiques et d’autres étant non-spécifiques. Toutefois, nous rejoignons la thèse de Kay qui préfère privilégier la notion de substituabilité. En effet, dans le cas de la R&D, certains projets peuvent être spécifiques au produit et pourtant être confiés à un prestataire extérieur qui aura plus de compétences pour répondre au problème posé. Pour illustrer cela, nous pouvons prendre l’exemple du prestataire E9, dont l’activité est de développer de nouvelles formulations, c’est-à-dire de retravailler des principes actifs pour changer la forme galénique. L’entreprise externalisatrice confie à ce prestataire un projet très spécifique au produit développé en interne. Ce projet pouvant être réalisé à l’externe sans perturber les autres recherches liées à ce même produit, il peut donc être considéré comme substituable. Cependant, un projet imbriqué avec d’autres projets ou avec d’autres activités de l’entreprise ne pourra être réalisé par des partenaires extérieurs à qui il manquera de l’information, ou de la technologie. C’est le cas pour les dernières étapes de la recherche (phases de développement). À partir de ce moment-là, il faut, en effet, prendre en compte les procédés de production et de commercialisation. Pour E6, par exemple, si des recherches menées en amont ont montré que tel procédé permettait de diminuer la pollution, il faut en interne vérifier la possibilité de l’utiliser avec les structures d’incinération possédées, ce projet n’est pas spécifique au produit ou à l’entreprise mais aux activités de production, il est donc non-substituable, donc non-externalisable.

2. Les paramètres d’une externalisation réussie

Quatre paramètres jouant un rôle important pour faciliter un processus d’externalisation sont ressortis de l’étude :

  • Les contrats d’externalisation sont souvent très détaillés, leur rôle est avant tout de préciser les objectifs de la relation. L’accent est principalement mis sur les objectifs, les délais et les coûts. Comme les résultats de R&D sont incertains, il est très difficile d’établir un contrat très précis. La solution adaptée est celle d’un contrat par étape, par palier, dans lequel le projet est découpé en différentes phases et à la fin de chaque étape, un nouveau contrat est élaboré et redéfini en fonction des résultats déjà obtenus, de l’avancement des travaux ainsi que du financement envisagé.
  • La propriété intellectuelle : décider à qui vont appartenir les résultats est au centre de tout contrat d’externalisation et de partenariat en R&D. Pour chaque projet, s’il y a propriété intellectuelle, elle se négocie au cas par cas. Dans la majorité des cas, les résultats vont appartenir à l’entreprise externalisatrice. Cependant, ils peuvent parfois appartenir au prestataire. Dans le cadre de la recherche académique, les résultats peuvent être très généralistes et être utilisés dans des disciplines très variées. Dans ce cas, l’entreprise externalisatrice peut délaisser totalement la propriété ou demander une exclusivité d’usage temporaire dans son domaine d’activité. Enfin, il existe une alternative à ces deux extrêmes, il s’agit de la copropriété. Plutôt utilisée dans le cas des partenariats, elle peut être aussi décidée d’un commun accord lors de l’élaboration du contrat d’externalisation. Dans ce cas, chacun a le droit d’usage et chacun garde la propriété des informations et des résultats détenus au début du projet.
  • La confiance liée directement aux relations interpersonnelles. Pour les différents prestataires interrogés, la confiance est une notion centrale. Toutefois, il n’y a pas de confiance « aveugle », seules les informations nécessaires sont transmises. Il est vrai qu’une notion de confiance peut se développer au fil du temps. L’existence de coopérations réussies avec les mêmes partenaires permet d’accroître le niveau de confiance (Ring et van de Ven, 1992). La confiance se construit, elle est le ciment d’une relation que l’intérêt ne peut pas suffire à expliquer (Orléan, 1994).
  • La gestion du transfert d’informations. L’externalisation de la R&D nécessite un transfert d’informations important. Cependant, il est très difficile de procéder à ce transfert de manière rapide, continue et efficace. Les entreprises externalisatrices ont toujours peur de voir partir leur savoir tacite ou formel.

La proximité géographique facilite la coordination et la communication directe entre les personnes, favorise l’échange d’idées (Saxenian, 1994), la mise en confiance et la transmission d’informations. C’est ainsi que des laboratoires communs entre la recherche académique et l’industrie se développent, et que des pôles d’innovation regroupant la recherche académique, des écoles d’ingénieurs, des industriels, des personnes de l’enseignement de disciplines diverses se mettent en place. Ces pôles favorisent les synergies et les échanges.

Figure 2
Figure 2

Le contrat est le point de départ de tout processus d’externalisation de la R&D, il détermine la manière dont se dérouleront les opérations, les informations qui circuleront ainsi que la manière dont les échanges se passeront. Il désigne également le propriétaire des résultats obtenus. Si un contrat est respecté par les deux parties, la notion de confiance s’installera et facilitera l’élaboration des contrats futurs. Le transfert d’informations est influencé par la propriété intellectuelle; en effet, si l’entreprise externalisatrice est propriétaire des résultats, elle sera moins réticente à confier des informations au prestataire. Si le transfert d’informations se déroule sans incident et si aucune fuite d’informations n’apparaît, la confiance entre les deux entreprises se développera.

CONCLUSION

Les entreprises prennent conscience qu’elles ne peuvent plus mener seules l’intégralité de leur R&D. Elles recherchent donc des partenaires extérieurs : laboratoires publics, prestataires privés et collaborateurs pour développer des partenariats. L’étude a mis en évidence que seuls les projets considérés comme périphériques à l’activité de R&D pouvaient être confiés à des partenaires extérieurs dans le but de réorganiser la R&D interne de la firme, d’accéder à un savoir-faire indisponible à l’interne et/ou de répondre à l’évolution de l’environnement. Le terrain a montré que certains projets spécifiques au produit pouvaient être externalisés, le concept de substituabilité, comme le souligne Kay doit donc être privilégiée à celle de spécificité. Le modèle mis en avant reliant le contrat, la propriété intellectuelle, la gestion du transfert d’informations et la confiance détermine les variables et leurs causalités en prendre en compte pour une externalisation de la R&D réussie.

Différents éléments du terrain remettent en cause la pertinence du terme externalisation pour la R&D. Lacity et Hirscheim (1993) définissent l’externalisation dans sa forme la plus basique comme le recours au marché pour une activité auparavant réalisée en interne. Elle se caractérise désormais par un transfert de personnel et d’équipements vers le prestataire. Il est fondamental, dans un premier temps, de souligner que la R&D externalisée constitue pour la plupart des entreprises un faible pourcentage de leurs projets (moins de 1 % pour E1, E4, E5 et E7 et 23 % pour E2). De plus, les entreprises qui confiaient des missions de R&D à l’extérieur adoptent, en fait, une stratégie de mix. En effet, certains projets sont sous-traités, d’autres sont externalisés et d’autres sont réalisés en partenariat. Aucun n’implique de transfert de personnel ou de matériel. Le terme d’impartition (Barreyre et Bouche, 1982) semble plus approprié quand on étudie les activités de R&D confiées à l’extérieur puisque cette notion s’étend de la sous-traitance au partenariat, c’est-à-dire du faire-faire au faire ensemble.

Notes

  • [1] Baromètre Outsourcing de la société Andersen (2001).
  • [2] La R&D est un phénomène et non linéaire. Trois stades sont généralement identifiés (Mothe, 1997) : la recherche fondamentale, la recherche appliquée, le développement (développement de nouveaux procédés et développement pour la fabrication de nouveaux produits). À cela s’ajoute la veille technologique désormais partie intégrante de l’activité R&D.
  • [3] Ce qui explique qu’en France, beaucoup d’entreprises hésitent à confier des missions de R&D à des prestataires extérieurs.

Source: